Le municipalisme libertaire: la politique de l'écologie sociale, par Janet Biehl
Paru aux Éditions écosociété, ISBN 978-2-89719-091-0.
«Projet politique élaboré par le philosophe Murray Bookchin (1921-2006) pour donner une armature institutionnelle à son programme d’écologie sociale, le municipalisme libertaire propose une solution de rechange radicale à nos démocraties représentatives en déliquescence: une démocratie participative, directe, exercée au niveau local grâce à une profonde décentralisation du pouvoir. En quinze courts chapitres, Janet Biehl présente avec clarté cet ambitieux projet, dans ses aspects tant théoriques que pratiques.»
Citations
La polis d'Athènes
Page 47
«Solon décréta l'exonération de toutes les dettes et l'abolition de la contrainte par corps et de l'hypothèque. Lors de son élection, il avait reçu le mandat extraordinaire d'amender la Constitution athénienne et de prévenir l'éruption de nouvelles crises, mais les lois qu'il promulgua changèrent la structure politique si radicalement qu'elles imposèrent une toute nouvelle Constitution.»
Page 50
«La majorité des postes étaient comblés par tirage au sort. En fait, c'est ce moyen, et non la nomination ou l'élection, qui fut retenu pour choisir les administrateurs dans presque toutes les institutions politiques.»
La commune médiévale
Page 52
«Vers 1200, le sentiment démocratique entra en ébullition dans plusieurs communes. À Nîmes, par exemple, en 1198, le peuple tout entier choisit ses magistrats. Dans les communes italiennes, le popolo — les maîtres artisans, les boutiquiers, les professionnels, les notaires, les marchands, les financiers, la bourgeoisie commerciale (mais pas les tisserands ni les journaliers) — affronta l'aristocratie en exigeant que la vie politique communale luis fasse une place.»
L'assemblée en Nouvelle-Angleterre
Page 59
«Longtemps avant la Déclaration d'indépendance de 1776, les villages du Massachusetts opéraient selon le principe que le seul gouvernement légitime naît du consentement des gouvernés, voire que le seul gouvernement légitime est l'autogouvernement. C'est la démocratie directe du Massachusetts, mère du radicalisme politique, que la Couronne britannique trouvait le plus inadmissible.»
Les sections parisiennes
Page 61
«Sur le plan idéologique, les membres des sections considéraient la souveraineté populaire comme un droit inaliénable appartenant à tous les citoyens, un droit qui ne pouvait être délégué à des représentants dans une assemblée nationale.»
L'état et l'urbanisation
Page 67
«Entre-temps, il fallait financer les guerres apparemment incessantes que se livraient les rois. Les villes et leur richesse commerciale devinrent la cible favorite des prélèvements royaux. En faisant rendre gorge aux villes, les monarques étendaient sur elles leur contrôle, ce qui peu à peu étouffa la liberté civique. Déjà au 17e siècle, la cité autrefois libre avait été avalé par l'État monarchique et incorporé dans sa structure centralisée.»
L'urbanisation
Page 69
«Le succès d'une ville réside désormais uniquement dans le fait d'accumuler des surplus et de fournir les infrastructures nécessaires pour promouvoir la croissance des sociétés privées. Elle aura échoué si elle a un déficit et opère sans efficité selon les normes commerciales et industrielles. Le contenu éthique de la vie urbaine est remplacé par des critères d'affaires, qui mettent l'accent sur les “bilans” pour stimuler la croissance, c'est-à-dire pour accélérer l'accumulation du capital, ce qui augmente l'assiette fiscale, et en général pour promouvoir une expansion urbaine insensée. Les fondements mêmes de la démocratie civique sont menacés.»
La municipalité
Page 74
«Les affaires que les membres de la communauté ont en commun, contrairement à celles qui relèvent de leur vie privée, deviennent les questions d'intérêt du champ politique.»
«Évidemment, les gens se rencontrent face à face ailleurs dans la société, comme sur le lieu de leur travail ou à l'université, et ces endroits peuvent aussi être démocratisés; en fait, ils doivent l'être. Toutefois, seule la communauté est ouverte à tous les membres adultes à titre de résidants, plutôt qu'uniquement aux étudiants ou aux travailleurs, et elle seule, par conséquent, peut devenir une grande arène pour la gestion des affaires de la communauté entière.»
[…]
«C'est ici que la citoyenneté peut prendre un sens, quand les citoyens reprennent en main et élargissent le pouvoir que l'État a usurpé.»
La banlieue
Page 86
«Un groupe situé en banlieue rencontrera des problèmes particuliers que les résidants des villes ne connaissent pas. Contrairement aux citadins, quand les banlieusards sortent de chez eux, habituellement, ils n'entrent pas dans un espace public. Ils montent plutôt à bord de leur voiture et conduisent jusqu'à ce qu'ils arrivent à un autre lieu de la sphère privée: un magasin, un poste d'essence, un centre commercial ou leur lieu de travail. Il peut se passer des jours et des semaines sans qu'ils mettent les pieds ailleurs que dans des lieux privés. Les trottoirs et les autres espaces publics sont rares en banlieue, la communauté ayant presque entièrement cédé le pas à des agglomérations de maisons isolées situées en retrait de la rue, ce qui rend les rencontres fortuitent hautement improbables.»
Les élections
Page 94
«Les apparitions médiatiques peuvent sembler plus efficaces que les rencontres face à face parce qu'elles rejoignent un plus grand nombre de personnes, mais le groupe doit observer la plus grande prudence à l'égard des médias. L'arène médiatique repousse à l'arrière-plan la participation politique de la communauté — le face à face est supprimé —, ce qui vice l'inclusion que recherche le municipalisme libertaire et perpétue l'isolement des simples citoyens par rapport aux affaires publiques. Cela permet aussi aux candidats d'échapper aux questions et à l'examen du public que permet le face à face.»
«Mais ce qui importe également, c'est que les bulletins de nouvelles de la télévision commerciale soutiennent par définition le statu quo et s'opposeront donc au mouvement du municipalisme libertaire. Quelques journalistes peuvent se montrer sympathique au mouvement, mais les stations de télévision seront probablement orientées dans le sens des intérêts de leurs annonceurs. Leur couverture des actualités, quand elle ne sera pas carrément hostile, pourrait transformer les candidats municipalistes libertaires en amuseurs publics et rabaisser leur discours au rang du divertissement, en n'offrant que quelques extraits du discours et quelques photos plutôt qu'une couverture complète.»
Page 95
«Les mouvements verts qui sont apparus à la fin des années 1979 et au début des années 1980 dans plusieurs pays d'Europe en sont un exemple frappant, le plus notoire étant celui de l'Allemagne. À l'origine mouvement de la contre-culture, les Grünen étaient farouchement décidés à reconstruire la société suivant des principes plus écologiques. Au début des années 1980, ils se présentèrent aux élections fédérales et obtinrent suffisamment de voix pour faire élire une vingtaine de députés.»
«Le parti se disait que ces nouveaux parlementaires, soudain propulsés sous les feux de la rampe, utileriseraient leur position au sein de l'appareil de l'État uniquement comme une tribune pour éduquer le peuple. Bien vite, toutefois, on se mit à espérer que les parlementaires fassent adopter des lois progressites, écologiquement saines, et on voulut qu'ils s'y efforcent activement. Mais la chose n'était possible que dans la mesure où elle ne dérangeait pas le système établi. Une fois que l'adoption de telles législations devint le but, le parti cessa d'être radical. Pour augmenter ses appuis électoraux, le parti laissa tomber l'une après l'autre ses demandes radicales, et il fut rapidement absorbé par les institutions de l'État. Au début des années 1990, après que les verts allemands eurent publié une position relative au capitalisme dont certaines idées étaient plus à droite que celles du Vatican, la gauche, dégoûtée, quitta le parti. À présent, les verts travaillent main dans la main avec le système; en fait, ils semblent vouloir travailler avec les partis traditionnels, même celui de la Démocratie chrétienne, qu'elle qu'en soit le coût pour leurs principes. Des dérives similaires se sont produit en Grande-Bretagne, en France et en Italie, quoique à un moindre degré.»
[…]
le mouvement doit éduquer la population et refuser de se laisser apprivoiser par l'État.
La formation de la citoyenneté
Page 100, 101
«Le libéralisme, théorie politique essentielle au système représentatif de l'État, pose comme unité irréductible l'individu libre qui, au moment suprême de son pouvoir souverain, exerce sa volonté autonome en choississant dans l'isoloir parmi un évantail d'options.»
[…]
«Pourtant, cet individu tant vanté n'est rien d'autre qu'une fiction. Nul ne peut être totalement autonome ni indépendant d'un noyau social, que ce soit dans la vie privée qui le nourrit ou dans la vie communautaire qui nourrit la communauté.»
[…]
«Loin de rehausser la liberté sociale et politique de l'individu, l'autonomie la subvertit. En fin de compte, elle annule la liberté en détruisant les dépendances mutuelles, le tissu des interrelations, le substrat civique et social de la liberté.»
Page 101
«Dans les sociétés de masse actuelles, comme nous l'avons vu, les citoyens sont réduits au statut d'électeurs et de contribuables. Loin d'augmenter leur maîtrise, l'État et le système capitaliste les infantilisent. Se concevant comme pater familias, l'État gère la vie civique à leur place, ostensiblement pour leur bien, mais il perpétue ainsi leur dépendance et leur subordination. En même temps, le capitalisme remue ciel et terre pour en faire des consommateurs insatiables et insatisfaits, affamés non pas de pouvoir mais d'aubaines.»
La citoyenneté
Page 102
«Créer une société municipaliste libertaire suppose ultimement une transformation des relations sociales: remplacer l'État, l'urbanisation, la hiérarchie et le capitalisme par des institutions de démocratie directe et de coopération enracinées dans le champ politique municipal.»
Page 103
«[…] l'existence de la communauté dépend de sa capacité à fonder son avenir sur la solidarité et le discernement de chaque citoyen.»
La paideia
Page 105
«Si l'autorité de l'État repose sur l'hypothèse que le “citoyen” est par essence un mineur incompétent et déraisonnable dont les affaires doivent êtres gérées par des professionnels, le municipalisme libertaire tient le contraire pour acquis. Il considère chaque citoyen comme étant potentiellement assez compétent et raisonnable pour participer directement à la vie publique démocratique. Son postulat est qu'avec l'apprentissage et l'expérimentation les citoyens peuvent délibérer, prendre des décisions paisiblement et mettre en oeuvre leurs choix de façon responsable. Il croit que la politique est trop importante pour être laissée aux professionnels; elle doit plutôt devenir la province des amateurs, des gens ordinaires.»
La citoyenneté aujourd'hui
Page 107
«[…] ce ressentiment envers l'État est sain et légitime puisque celui-ci est là dans l'intérêt d'un groupe de maîtres plutôt que dans celui du bien commun. Malheureusement, la politique et l'art du pouvoir sont si étroitement confondus de nos jours que, chez bien des gens, l'hostilité envers l'État empoisonne leur attitude à l'égard de la politique. Ils deviennent hostiles aux préceptes mêmes qui pourraient leur redonner du pouvoir, qui pourraient remplacer l'anomie par la communauté et leur faiblesse sociale par l'autonomisation.»
Localisme et décentralisme
Page 113
«[…] ce n'est pas la technologie qui cause la destruction écologique, mais l'organisation sociale, surtout le capitalisme, qui l'utilise à ses propres fins destructrices. On peut utiliser la majorité des technologies à des fins qui sont soit nobles, soit ignobles; elles ne font qu'amplifier les effets des rapports sociaux là où elles sont employées.»
Le confédéralisme
Page 116
«Une confédération est un réseau dans lequel plusieurs entités politiques se réunissent pour former un tout plus grand. Même s'il s'en résulte une entité plus grande, les entités plus petites ne se fusionnent pas et ne disparaissent pas. Elles gardent au contraire leur liberté, leur identité et leur souveraineté en se confédérant.»
Page 120
«Le but premier du conseil confédéral sera de coordonner et d'exécuter les politiques formulées par les assemblées (un rôle administratif), et non de prendre des décisions politiques.»
Page 121
«De nos jours, bien peu de parlementaires seraient capables de tracer les plans d'une centrale nucléaire ou d'en expliquer le fonctionnement, mais cela ne les empêche pas de prendre des décisions politiques au sujet de l'énergie nucléaire. Dans une société municipaliste libertaire, les connaissances nécessaires seront disséminées autant que possible parmi les citoyens. Les questions techniques devront être présentées avec clarté et dans un langage simple de sorte que les citoyens ayant une compétence raisonnable puissent prendre les décisions politiques les concernant.»
Page 121, 122
«Quand ceux qui sont les administrateurs en viennent à prendre les décisions politiques, les fondations de l'État sont en place: une élite est en train d'usurper le pouvoir de décision des citoyens.»
Municipaliser l'économie
Page 127
«De nos jours, c'est d'abord et avant tout pour leur participation au système capitaliste que les gens sont appréciés — c'est-à-dire pour leur productivité économique et leur pouvoir d'achat — plutôt que pour leur contributions à la civilisation, pour leurs services à la population et à la communauté ou leur simple décence morale.»
Page 128
«Mondialement, l'économie de marché intègre la vie économique de plus en plus étroitement. Elle recherche la main-d'oeuvre bon marché et les gouvernements autoritaires bien disposés à discipliner les relations de travail de manière à produire des profits toujours plus importants pour les détenteurs du capital. Loin de restreindre l'expansion du capitalisme, les États-nations facilitent ses opérations, exécutent ses ordres et servent ses buts. Poussé par la dynamique du “croîs ou meurs”, le capitalisme détruit autant les sociétés humaines que la nature, transformant les gens en misérables tâcherons et la terre en poussière, ce qui rend la planète de moins en moins hospitalière pour les formes de vie complexes.»
La propriété publique
Page 130, 131
«Aucun contexte social permettant au capitalisme d'exister ne réussira jamais à restreindre suffisamment la recherche du profit. Par sa nature expansionniste, le capitalisme essaiera toujours de renverser les contrôles extérieurs, de se livrer à la concurrence et de croître. En dernière analyse, le fait est que le capitalisme lui-même doit être aboli. Le système actuel doit être remplacé par un système qui a la volonté et la capacité de restreindre ou d'éliminer la recherche du profit en faveur de valeurs, de pratiques et d'institutions humanistes.»
Page 131
«[…] l'État, comme nous l'avons vu, est une structure élitiste qui se superpose au peuple; ce n'est pas le peuple lui-même. Dans ce sens de “nationalisation de la propriété”, la propriété publique ne donne pas au peuple le contrôle de la vie économique; elle ne fait que renforcer le pouvoir de l'État en lui donnant le pouvoir économique.»
Un pouvoir parallèle
Page 135, 136
«La force et la violence que font peser sur la société l'État-nation et les compagnies relèvent précisément du pouvoir institutionnel, appuyé par la police, les tribunaux et l'armée. Ignorer l'aspect concret du pouvoir, c'est dire adieu à la réalité et se laisser dériver dans un nirvana psycologique.»
Page 136
«[…] si le peuple doit reprendre le pouvoir, il doit le faire en l'enlevant à l'État. Aucun vide institutionnel n'est possible; le pouvoir est investi dans l'un ou dans l'autre. De nos jours, la masse du peuple dans le monde est dépourvue de ce dont elle a justement le plus besoin pour gérer ses affaires efficacement: le pouvoir.»
Page 141
«On peut conclure qu'accepter un poste dans l'État, c'est accepter d'être formé à l'art de gouverner plutôt que d'éduquer le peuple à la politique radicale antiétatique. Cela sert à perpétuer le pouvoir de l'État au lieu d'accroître la démocratie populaire, et cela peut même contribuer à étendre l'autorité et le pouvoir de l'État contre la démocratie populaire résurgente que l'on prétendait soutenir à l'origine.»
Une société rationnelle
Page 145
«Une éthique de la coopération et de la solidarité aura de nombreuses conséquences sociales, dont la moindre ne sera pas l'abolition de la hiérarchie et de la domination: non seulement la domination de l'État, mais les hiérarchies sociales institutionnalisées fondées sur le genre, la race, l'ethnie, l'âge et tout autre statut; ces stratifications font obstacle à la réciprocité à cause de l'inégalité et de la domination.»
L'ordre du jour du municipalisme libertaire
Page 150
«Les médias de masse endorment et hypnotisent les gens, leur font accepter leur propre domination et exploitation, et désamorcent leur penchant à devenir autre chose que de dociles consommateurs et les sujets passifs de l'élite.»
Page 151
«Il est impossible que l'État-nation et le capitalisme survivent indéfiniment. Alors même que ce système creuse le fossé entre riches et pauvres tout autour du monde en un abîme d'inégalité, il suit aussi une trajectoire de collision avec la biosphère. L'impératif capitaliste de “la croissance ou la mort”, surtout, qui recherche le profit aux dépens de toute autre considération, s'oppose radicalement aux réalités pratiques de l'interdépendance et des limites, tant de point de vue social que du point de vue de la capacité de la planète à maintenir la vie.»
[…]
«La question écologique exige une reconstruction fondamentale de la société.»
Page 153
«Les leçons d'un siècle de militantisme de gauche nous forcent donc à conclure que ni le parlementarisme ni les mouvements à vocation particulières ne peuvent changer la société fondamontalement.»
Page 155
«[…] le mot d'ordre du mouvement municipaliste libertaire: “Démocratiser la répuplique; radicaliser la démocratie!"»
Entretien avec Murray Bookchin
Cet entretien fût mené par Janet Biehl et à eu lieu le 12 novembre 1996 à Burlington au Vermont.
Page 163
«Notez bien que tout récemment (1996), l'administration Clinton a laissé tomber la clause Delaney, la loi qui interdisait la présence de cancérigènes dans les denrées alimentaires. Il y a 40 ans, je soulevais la question des pesticides dans la nourriture quand Delaney présidait la commission du Congrès, et maintenant tout est en train d'être défait.»
Page 164
«Prenons la prétentue loi antiterrorisme que l'administration Clinton a récemment (1996) adoptée: elle permet beaucoup plus d'écoute électronique et menace même l'habeas corpus, ce vieux droit qui date de l'Angleterre médiévale! Ainsi, même si de plus grands pouvoirs sont donnés aux compagnies dans l'ALÉNA, etc., les États jouissent aussi de plus grands pouvoirs internes, et plus ouvertement qu'auparavant.»
Page 185, 186
«Mais la lutte contre les injustices ne peut pas être séparée de la lutte pour la liberté. Si elle l'est, nous demeurerons toujours accablés par le même ordre social, légèrement ou peut-être beaucoup plus juste, mais toujours l'ordre social qui infligera inéluctablement des dommages croissants à la société et à la nature. Un lien vivant doit exister entre notre vision et nos buts, de sorte que notre vision s'introduise dans nos buts et leur donne un caractère d'urgence. Autrement, si nos buts et notre vision divergent, nous fonctionnons comme des gardiens du capitalisme qui lui donne un visage humain plutôt que comme des révolutionnaires essayant de renverser les causes à la base de toutes ces injustices, de même que les restrictions à la liberté et à l'épanouissement de tous les êtres humains.»
Page 186
«Alors, un programme municipaliste libertaire n'aura jamais de revendications immédiates sans en même temps avoir des revendications éloignées.»
[…]
«Un programme de transition doit servir à faire le lien entre les petites mesures qui peuvent être prises immédiatement et les buts ultimes, comme le communisme ou le socialisme.»
«[…] le mouvement réclamerait de façon prioritaire l'établissement des assemblées publiques et la mise en place de centres civiques où ces assemblées puissent être tenues.»
Page 187
«Mais ce qui est le plus important, c'est que le mouvement réclame la modification de la charte municipale pour que l'assemblée des citoyens obtienne toujours plus de pouvoir législatif, si ce n'est la totalité.»
[…]
«Bien des gens, je dois le dire, éprouvent beaucoup de difficulté à concevoir le municipalisme libertaire comme un processus. Mais je maintiens que c'est exactement de cela qu'il s'agit.»
Page 188
«Mais s'il est utopique de lutter pour la municipalisation de l'économie et la formation de municipalités libertaires confédérées, quelle autre solution avons-nous ajourd'hui? Construire un parti politique qui, si l'on en juge par l'histoire des verts allemands, des travaillistes britanniques et des tiers partis américains, est voué à dégénérer en une composante de l'appareil de d'État ou à disparaître tout simplement?»
Page 189
«Les choix sont la propriété privée, la nationalisation de la propriété ou la municipalisation de la propriété. Je laisse à toute personne dotée de sensibilité révolutionnaire le soin de prendre sa propre décision.»
Page 191
«Je ne prétends pas du tout que toute loi est rationnelle du simple fait qu'elle est loi; La loi comme substitut à la vengeance est une étape rationnelle, même si bien des lois particulières sont irrationnelles.»
Page 192
«Toute notion d'une nature humaine fixe, même bienveillante, comme le mythe du “bon sauvage”, est un non-sens sociobiologique. Cela rend le comportement humain totalement inflexible et nie l'un de ses aspects les plus importants, soit sa créativité, caractéristique de l'humanité qui la distingue de l'adaptabilité typique des animaux.
Ainsi, dans la société municipaliste libertaire que j'identifie à la société rationnelle et au communisme libertaire, il serait essentiel d'avoir une constitution raisonnée associée à des nomoi raisonnés qui empêcheraient l'autoritarisme et les autres aspects indésirables de la société actuelle, comme la propriété privée et l'État. La constitution devrait en même temps offrir une forme positive de loi, fournissant des directives morales raisonnées suffisamment flexibles pour permettre de s'adapter aux situations changeante.»
Page 192, 193
«Donc, le mouvement aura une constitution avec préambule qui déclare ses buts les plus larges et son caractère. Puis, on spécifiera aussi clairement que possible (sans être pour autant inflexible) comment le mouvement doit fonctionner ainsi. La constitution spécifiera la règle de la majorité pour la prise de décision, ce qui selon moi est indispensable. De plus, elle énoncera clairement comment seront élus les délégués et comment ils seront destitués si nécessaire, et elle dira en quoi leurs pouvoirs différent de ceux de représentants du genre parlementaire. Elle pourra inclure une explication de la démocratie et de la confédération municipales.
Une fois le mouvement établi sur la base d'une constitution raisonnée, guidée par des nomoi raisonnés, comment pourrait-il créer des assemblées de citoyens? Ici, à Burlington, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, les groupes d'anarchistes avec qui j'ai travaillé préconisaient des assemblées de citoyens dans chacun des six districts électoraux de la ville. Nous avons continué à les réclamer aprés qu'un progessiste appartenant à un tiers parti a été élu maire en 1981. Ce maire, Bernard Sanders, ne semblait pas comprendre de quoi nous parlions, mais il était prêt à appuyer l'idée parce que'elle lui semblait bonne. Son administration progressite a accepté de créer dans chaque district une assemblée de planification de quartier (APQ). Il ne s'agissait pas d'authentiques assemblées de citoyens; c'étaient des “assemblées de planification” qui étaient responsables du décaissement des fonds pour le développement communautaire. Leur rôle politique était strictement consultatif. Mais au Vermont l'autorité morale des citoyens réunis en assemblée était souvent irrésistible et, pendant quelques temps (jusqu'à de que nos anarchistes locaux se retranchent dans la vie privée), ils ont exercé une influence considérable.»
Page 194, 195
«[…] il est parfaitement judicieux pour le mouvement de commencer par établir des assemblées de citoyens qui n'ont qu'une autorité morale;»
[…]
«De toute façon, une fois qu'un mouvement municipalisme libertaire a initié des assemblées extralégales, il est essentiel qu'elles soient institutionnalisées, quand ce ne serait que sur papier. Ce que le mouvement ne doit pas faire, c'est tenir des réunions ad hoc simplement pour discuter d'une question précise, puis laisser disparaître l'assemblée quand la question n'intéresse plus la population. Ce que je veux dire, c'est que si un mouvement municipalisme libertaire initie les assemblées, il ne suffit pas de tenir une réunion, comme dans un town meetings (comme on les appelle à tort) de la ville de New York, pour discuter d'une question particulière ou pour la porter à l'attention du public, puis de laisser tomber dans l'oubli l'existence même de l'assemblée.»
[…]
«Le municipalisme libertaire cherche à exacerber la tension entre les municipalités et l'État, à devenir un pouvoir parallèle d'opposition qui, dans les circonstances propices, abolira l'État en faveur d'un système confédéral d'admistration sociale.»
Page 196
«Je puis au moins dire ceci: je suis complètement d'accord avec Marx quand il dit que le capitalisme est un système qui doit nécessairement détruire la société à cause de son principe directeur de la production pour la production, de la croissance pour la croissance. Le municipalisme libertaire ne doit pas être compromis par des idées réformistes et de moindre mal, comme bâtir un tiers parti ou s'engager dans la “politique indépendante” dans le cadre de l'État-nation. Chaque compromis, surtout une politique du moindre mal, conduit invariablement à des maux plus grands. C'est par une série de moindres maux offerts aux Allemands sous la république de Weimar qu'Hitler a accédé au pouvoir. Hindenburg, le dernier de ces moindres maux, qui fut élu président en 1932, a nommé Hitler chancelier en 1933, donnant le fascisme à l'Allemagne, pendant que les sociaux-démocrates continuaient à voter pour un moindre mal aprés l'autre jusqu'à ce qu'ils obtiennent le pire de tous les maux.»
«Ainsi, le “moindre-malisme” est clairement devenu une formule de capitulation.»
Ailleurs sur le Web
Janet Biehl : «Bookchin a été marginalisé»
https://www.revue-ballast.fr/janet-biehl-bookchin-a-ete-marginalise/
«Bookchin cherchait à renforcer et à exacerber ce qu’il ressentait comme une tension fondamentale entre les villes et l’État. Il voulait créer une force qui s’oppose activement au pouvoir centralisé de l’État.»
[…]
«La tension entre les confédérations et l’État doit rester claire et sans compromis… le municipalisme libertaire se forme dans un combat contre l’État, est renforcé, et même défini par cette opposition.»
[…]
«Le capitalisme, qui était d’abord principalement une notion économique, incarne aujourd’hui la société elle-même, au sens où la famille devient à peine plus qu’une unité de consommation, et les villes ou leurs banlieues se transforment en centres commerciaux.»
[…]
«Mais sans aucun doute, l’héritier le plus important de Bookchin aujourd’hui, c’est Abdullah Öcalan — ce qui, malheureusement, n’est devenu clair qu’après la mort de Bookchin en 2006. Öcalan l’avait lu en prison (il y est encore) et avait engagé la transformation de l’idéologie du PKK, du marxisme-léninisme vers ce qu’il appelle « le confédéralisme démocratique ». C’est aujourd’hui l’idéologie du mouvement kurde pour la liberté, à la fois à Bakur (le Kurdistan turc) et dans le Rojava (le Kurdistan syrien).»
[…]
«Je pense que le Rojava est devenu un phare pour la gauche internationaliste, susceptible d’inspirer un degré de solidarité qui pourrait déboucher sur de nouveaux efforts municipalistes.»