Le municipalisme libertaire
La polis d'Athènes
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«Solon décréta l'exonération de toutes les dettes et l'abolition de la contrainte par corps et de l'hypothèque. Lors de son élection, il avait reçu le mandat extraordinaire d'amender la Constitution athénienne et de prévenir l'éruption de nouvelles crises, mais les lois qu'il promulgua changèrent la structure politique si radicalement qu'elles imposèrent une toute nouvelle Constitution.»
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«La majorité des postes étaient comblés par tirage au sort. En fait, c'est ce moyen, et non la nomination ou l'élection, qui fut retenu pour choisir les administrateurs dans presque toutes les institutions politiques.»
La commune médiévale
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«Vers 1200, le sentiment démocratique entra en ébullition dans plusieurs communes. À Nîmes, par exemple, en 1198, le peuple tout entier choisit ses magistrats. Dans les communes italiennes, le popolo — les maîtres artisans, les boutiquiers, les professionnels, les notaires, les marchands, les financiers, la bourgeoisie commerciale (mais pas les tisserands ni les journaliers) — affronta l'aristocratie en exigeant que la vie politique communale luis fasse une place.»
L'assemblée en Nouvelle-Angleterre
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«Longtemps avant la Déclaration d'indépendance de 1776, les villages du Massachusetts opéraient selon le principe que le seul gouvernement légitime naît du consentement des gouvernés, voire que le seul gouvernement légitime est l'autogouvernement. C'est la démocratie directe du Massachusetts, mère du radicalisme politique, que la Couronne britannique trouvait le plus inadmissible.»
Les sections parisiennes
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«Sur le plan idéologique, les membres des sections considéraient la souveraineté populaire comme un droit inaliénable appartenant à tous les citoyens, un droit qui ne pouvait être délégué à des représentants dans une assemblée nationale.»
L'état et l'urbanisation
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«Entre-temps, il fallait financer les guerres apparemment incessantes que se livraient les rois. Les villes et leur richesse commerciale devinrent la cible favorite des prélèvements royaux. En faisant rendre gorge aux villes, les monarques étendaient sur elles leur contrôle, ce qui peu à peu étouffa la liberté civique. Déjà au 17e siècle, la cité autrefois libre avait été avalé par l'État monarchique et incorporé dans sa structure centralisée.»
L'urbanisation
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«Le succès d'une ville réside désormais uniquement dans le fait d'accumuler des surplus et de fournir les infrastructures nécessaires pour promouvoir la croissance des sociétés privées. Elle aura échoué si elle a un déficit et opère sans efficité selon les normes commerciales et industrielles. Le contenu éthique de la vie urbaine est remplacé par des critères d'affaires, qui mettent l'accent sur les “bilans” pour stimuler la croissance, c'est-à-dire pour accélérer l'accumulation du capital, ce qui augmente l'assiette fiscale, et en général pour promouvoir une expansion urbaine insensée. Les fondements mêmes de la démocratie civique sont menacés.»
La municipalité
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«Les affaires que les membres de la communauté ont en commun, contrairement à celles qui relèvent de leur vie privée, deviennent les questions d'intérêt du champ politique.»
«Évidemment, les gens se rencontrent face à face ailleurs dans la société, comme sur le lieu de leur travail ou à l'université, et ces endroits peuvent aussi être démocratisés; en fait, ils doivent l'être. Toutefois, seule la communauté est ouverte à tous les membres adultes à titre de résidants, plutôt qu'uniquement aux étudiants ou aux travailleurs, et elle seule, par conséquent, peut devenir une grande arène pour la gestion des affaires de la communauté entière.»
[…]
«C'est ici que la citoyenneté peut prendre un sens, quand les citoyens reprennent en main et élargissent le pouvoir que l'État a usurpé.»
La banlieue
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«Un groupe situé en banlieue rencontrera des problèmes particuliers que les résidants des villes ne connaissent pas. Contrairement aux citadins, quand les banlieusards sortent de chez eux, habituellement, ils n'entrent pas dans un espace public. Ils montent plutôt à bord de leur voiture et conduisent jusqu'à ce qu'ils arrivent à un autre lieu de la sphère privée: un magasin, un poste d'essence, un centre commercial ou leur lieu de travail. Il peut se passer des jours et des semaines sans qu'ils mettent les pieds ailleurs que dans des lieux privés. Les trottoirs et les autres espaces publics sont rares en banlieue, la communauté ayant presque entièrement cédé le pas à des agglomérations de maisons isolées situées en retrait de la rue, ce qui rend les rencontres fortuitent hautement improbables.»
Les élections
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«Les apparitions médiatiques peuvent sembler plus efficaces que les rencontres face à face parce qu'elles rejoignent un plus grand nombre de personnes, mais le groupe doit observer la plus grande prudence à l'égard des médias. L'arène médiatique repousse à l'arrière-plan la participation politique de la communauté — le face à face est supprimé —, ce qui vice l'inclusion que recherche le municipalisme libertaire et perpétue l'isolement des simples citoyens par rapport aux affaires publiques. Cela permet aussi aux candidats d'échapper aux questions et à l'examen du public que permet le face à face.»
«Mais ce qui importe également, c'est que les bulletins de nouvelles de la télévision commerciale soutiennent par définition le statu quo et s'opposeront donc au mouvement du municipalisme libertaire. Quelques journalistes peuvent se montrer sympathique au mouvement, mais les stations de télévision seront probablement orientées dans le sens des intérêts de leurs annonceurs. Leur couverture des actualités, quand elle ne sera pas carrément hostile, pourrait transformer les candidats municipalistes libertaires en amuseurs publics et rabaisser leur discours au rang du divertissement, en n'offrant que quelques extraits du discours et quelques photos plutôt qu'une couverture complète.»
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«Les mouvements verts qui sont apparus à la fin des années 1979 et au début des années 1980 dans plusieurs pays d'Europe en sont un exemple frappant, le plus notoire étant celui de l'Allemagne. À l'origine mouvement de la contre-culture, les Grünen étaient farouchement décidés à reconstruire la société suivant des principes plus écologiques. Au début des années 1980, ils se présentèrent aux élections fédérales et obtinrent suffisamment de voix pour faire élire une vingtaine de députés.»
«Le parti se disait que ces nouveaux parlementaires, soudain propulsés sous les feux de la rampe, utileriseraient leur position au sein de l'appareil de l'État uniquement comme une tribune pour éduquer le peuple. Bien vite, toutefois, on se mit à espérer que les parlementaires fassent adopter des lois progressites, écologiquement saines, et on voulut qu'ils s'y efforcent activement. Mais la chose n'était possible que dans la mesure où elle ne dérangeait pas le système établi. Une fois que l'adoption de telles législations devint le but, le parti cessa d'être radical. Pour augmenter ses appuis électoraux, le parti laissa tomber l'une après l'autre ses demandes radicales, et il fut rapidement absorbé par les institutions de l'État. Au début des années 1990, après que les verts allemands eurent publié une position relative au capitalisme dont certaines idées étaient plus à droite que celles du Vatican, la gauche, dégoûtée, quitta le parti. À présent, les verts travaillent main dans la main avec le système; en fait, ils semblent vouloir travailler avec les partis traditionnels, même celui de la Démocratie chrétienne, qu'elle qu'en soit le coût pour leurs principes. Des dérives similaires se sont produit en Grande-Bretagne, en France et en Italie, quoique à un moindre degré.»
[…]
le mouvement doit éduquer la population et refuser de se laisser apprivoiser par l'État.
La formation de la citoyenneté
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«Le libéralisme, théorie politique essentielle au système représentatif de l'État, pose comme unité irréductible l'individu libre qui, au moment suprême de son pouvoir souverain, exerce sa volonté autonome en choississant dans l'isoloir parmi un évantail d'options.»
[…]
«Pourtant, cet individu tant vanté n'est rien d'autre qu'une fiction. Nul ne peut être totalement autonome ni indépendant d'un noyau social, que ce soit dans la vie privée qui le nourrit ou dans la vie communautaire qui nourrit la communauté.»
[…]
«Loin de rehausser la liberté sociale et politique de l'individu, l'autonomie la subvertit. En fin de compte, elle annule la liberté en détruisant les dépendances mutuelles, le tissu des interrelations, le substrat civique et social de la liberté.»
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«Dans les sociétés de masse actuelles, comme nous l'avons vu, les citoyens sont réduits au statut d'électeurs et de contribuables. Loin d'augmenter leur maîtrise, l'État et le système capitaliste les infantilisent. Se concevant comme pater familias, l'État gère la vie civique à leur place, ostensiblement pour leur bien, mais il perpétue ainsi leur dépendance et leur subordination. En même temps, le capitalisme remue ciel et terre pour en faire des consommateurs insatiables et insatisfaits, affamés non pas de pouvoir mais d'aubaines.»