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Caliban et la sorcière: femmes, corps et accumulation primitive, par Sylvia Federici

Paru aux Éditions ENTREMONDE, ISBN 978-2-9404-2631-7.

«Silvia Federici revi­site ce moment par­ti­cu­lier de l’his­toire qu’est la tran­si­tion entre le féo­da­lisme et le capi­ta­lisme, en y intro­dui­sant la pers­pec­tive par­ti­cu­lière de l’his­toire des femmes.»

Couverture du livre Caliban et la sorcière

Citations

Page 58

«Alors qu'elles étaient généralement les membres les plus pauvres de la société urbaine, les femmes finirent par avoir accès à de nombreuses processions qui plus tard seraient considérées comme des emplois masculins. Dans les villes médiévales, lee femmes travaillaient comme forgeronnes, bouchères, boulangères, chandelières, chapelières, brasseuseuses, cardeuses de laine, et détaillantes.»

Page 58, 59

«À Francfort, entre 1300 et 1500, il y avait approximativement 200 professions qui comprenaient des femmes»


Page 65

«Des hérétiques furent brûlés par milliers sur le bûcher, et pour éradiquer leur présence le pape créa une des institutions les plus perverses qui ait jamais été attestée dans l'histoire de la répression d'État: la Sainte Inquisition.»


Page 107, 108

«En fait, l'image dont nous avons héritée, celle d'une bourgeoisie perpétuellement en guerre contre la noblesse, et porteuse de l'appel à l'égalité et à la démocratie sur son étendard, est une falsification. À partir de la fin du Moyen Âge, où que l'on regarde, de la Toscane à l'Angleterre et aux Pays-Bas, nous voyons la bourgeoisie déjà alliée à la noblesse dans la répression des classes inférieures.»


Page 148, 149

«[…] la séparation entre production et reproduction engendra une classe de femmes prolétaires qui étaient aussi dépossédées que les homme, mais qui, au contraire de leurs homologues masculins, dans une société qui devenait de plus en plus monétarisée, n'avaient quasiment pas accès au salaire, et se trouvaient donc réduites à une condition de pauvreté chronique, de dépendances économiques et, comme travailleuses, d'invisibilité.»

Page 149

«[…] dans “la transition du féodalisme au capitalisme” les femmes ont subi un processus unique d'avilissement social qui était fondamental pour l'accumulation du capital et qui est demeuré tel depuis lors.»


Page 165

«Au Moyen Âge, les migrations, le vagabondage et l'augmentation des “crimes contre les biens” faisaient partie de la résistance à la paupérisation et à la dépossession: ces phénomènes prirent alors des proportions massives. Partout, si l'on en croit les déclarations des autorités de l'époque, des vagabonds s'ameutaient, passant d'une ville à l'autre, traversant des frontières, dormant dans des meules de foin ou s'agglutinaient aux portes des villes – une vaste humanité engagée dans une diaspora originale, qui devait échapper au contrôle des autorités durant des décennies.»


Page 168, 169

«[…] entre 1530 et 1560, […] l'introduction de l'assistance publique fut un tournant du rapport étatisé entre ouvriers et capital et dans la définition de la fonction de l'État. Ce fut la première reconnaissance de la non-pérennité d'un système capitaliste gouvernant uniquement par les moyens de la terreur et de la faim. Ce fut aussi le premier acte dans la reconstruction de l'État comme garant du rapport de classes et comme superviseur en chef de la reproduction et de la sujétion de la force de travail.»

Page 167

En ce qui concerne la période de “transition” [au capitalisme], elle a été en Europe un moment de conflit social intense, ouvrant la voie à un ensemble d'initiatives étatiques qui, à en juger par leurs effets, visaient à trois objectifs principaux: a) créer une force de travail plus disciplinée; b) désamorcer la contestation sociale; c) maintenir les travailleurs dans des emplois auxquels ils avaient été contraints.


Page 172

«[…] l'attaque sur les travailleurs, qui avait débuté par les enclosures et la révolution des prix, entraîna en l'espace d'un siècle “la criminalisation de la classe ouvrière”, c'est-à-dire la formation d'un vaste prolétariat qui était soit enfermé dans les maisons de travail et de correction nouvellement bâties, soit à la recherche de moyens de survie illégaux et vivant en confrontation ouverte avec l'État – jamais très loin du fouet et de la corde.»


Page 184

«Alors qu'au Moyen Âge les femmes avaient pu employer diverses formes de contraception, et avaient exercé un contrôle incontestable sur le processus d'enfantement, leurs utérus à partir de ce moment-là, devenaient un territoire public, contrôlé par les hommes et l'État, et la procréation était directement mise au service de l'accumulation capitaliste.»


Page 187

«On dispose d'une importante documentation sur les nombreux moyens de contraception dont disposaient les femmes au Moyen Âge, principalement des herbes dont elles faisaient des potions et des ‘pessaires’ (des suppositoires) employés pour raccourcir le cycle menstruel, provoquer un avortement ou la stérilité. Dans Eve’s Herbs , l'historien américain John Riddle nous propose un catalogue complet des substances les plus employées et des effets escomptés ou les plus probables.»


Page 208

«La chasse aux sorcières anéantit tout un monde de pratiques féminines, de rapports collectifs et de systèmes de connaissances qui avait constitué le fondement du pouvoir des femmes dans l'Europe précapitaliste, ainsi que la condition de leur résistance dans la lutte contre le féodalisme. Un nouveau modèle de féminité émergea à la suite de cette défaite: la femme et l'épouse idéale, passive, obéissante, économe, taiseuse, travailleuse et chaste.»


Page 209

«Alors que la réplique à la crise de population en Europe fut l'assignation des femmes à la reproduction, dans l'Amérique coloniale, où la colonisation détruisit 95% de la population aborigène, la réponse fut la traite, qui apporta une immense main-d'oeuvre à la classe dominante européenne.»


Page 210

«[…] le capitalisme n'aurait même pas pu démarrer sans l'annexion de l'Amérique par l'Europe, et sans le sang et la sueur, qui pendant deux siècles s'écoulèrent depuis les plantations vers l'Europe. Il faut le souligner, dans la mesure où cela nous permet de comprendre à quel point l'esclavage a été essentiel dans l'histoire du capitalisme, et pourquoi, régulièrement mais systématiquement, dès que le système capitaliste est menacé d'une crise économique majeure, la classe capitaliste doit relancer un processus d'accumulation primitive, c'est-à-dire un processus de colonisation et d'asservissement à grande échelle tel que celui auquel nous assistons.»


Page 216

«Quant aux prolétaires européens qui s'engagèrent en indenture ou qui arrivèrent au Nouveau Monde suite à une condamnation, leur destin n'était pas très différent, tout d'abord, de celui des esclaves africains avec lesquels ils travaillaient souvent côte à côte. Leur hostilité à l'égard de leurs maîtres était également intense, de sorte que les planteurs les regardaient comme un tout dangereux et, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, commencèrent à limiter leur emploi et promulguèrent des lois visant à les séparer des Africains. Mais ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que les frontières raciales furent irrémédiablement tracées. Jusqu'alors, la possibilité d'alliances entre Blancs, Noirs et peuple aborigènes, ainsi que la crainte d'une telle unité dans l'imagination de la classe dominante européenne, en métropole ou dans les colonies, était toujours présente.»


Page 218

«En Virginie, le point culminant de l'alliance entre Noirs et Blancs fut la révolte de Nathaniel Beacon, en 1675-1676, lorsque des esclaves africains et serviteurs britaniques en indenture s'unirent dans une conspiration contre leurs maîtres. C'est pour cette raison qu'à partir des années 1640 l'accumulation du prolétariat esclave dans les colonies d'Amérique du Sud et des Caraibes fut associée à l'élaboration de hiérarchies raciales, neutralisant la possibilité de telles alliances.»


Page 224

«Tout comme la discrimination fondée sur la “race”, la discrimination sexuelle était davantage un bagage culturel que les colons avaient apporté d'Europe avec armes et cheveaux. Tout autant que la destruction du communalisme, elle fut une stratégie dictée par les intérêts économiques spécifiques et par le besoin de créer les conditions préalables à une économie capitaliste, et, en tant que telle, s'adaptait toujours à la tâche en cours.»


Page 226

«Comme souvent lorsque les Européens se trouvèrent au contact avec les populations natives américaines, les Français furent impressionnés par la générosité de Montagnais-Naskapi, leur sens de la coopération et leur indifférence aux stratifications sociales, mais ils furent scandalisés par leur “absence de morale”: ils constatèrent que les Naskapi n'avaient aucune conception de la propriété privée, de l'autorité, de la supériorité masculine, et qu'ils refusaient même de punir leurs enfants. Les jésuites décidèrent de changer tout cela…»


Page 241

«Le capitalisme tente également de vaincre notre état naturel en brisant les barrières de la nature et en allongeant la durée de la journée de travail au-delà des limites fixées par le soleil, les cycles saisonniers, et le corps lui-même, tel qu'il s'était constitué dans la société préindustrielle.»


Page 242, 243

«À la différence de l'Adam de Milton, qui, une fois expulsé du jardin d'Éden, se lance joyeusement dans une vie dédiée au travail, les paysans expropriés et les artisans n'acceptaient pas pacifiquement de travailler pour un salaire. Ils devenaient le plus souvent mendiants, vagabonds ou criminels. Un lon processus fut nécessaire pour produire une force de travail disciplinée. Aux 16e et 17e siècles, la haine du travail salarié était si forte que de nombreux prolétaires préféraient risquer les galères plutôt que de se soumettre aux nouvelles conditions de travail.»


Page 251, 252

«Dans la philosophie mécaniste, on perçoit le nouvel esprit bourgeois qui calcule, classe, distingue, et dégrade le corps dans le seul but de rationaliser ses capacités, ne visant pas seulement à intensifier sa sujétion, mais à maximiser son utilité sociale. Loin de renoncer au corps, les théoriciens mécanistes cherchent à le conceptualiser de sorte à rendre ses opérations intelligibles et contrôlables. Ainsi le sentiment de fierté (plutôt que la commisération) avec lequel Descartes insiste sur le fait que cette “machine” (ainsi qu'il qualifie le corps se façon persistante dans son Traité de l'Homme) n'est qu'un automate, et que sa mort ne vaut pas plus un deuil que le bris d'un outil.»


Page 253

«Tout comme la nature réduite à une “grande machine”, pouvait être conquise et (chez Bacon) “pénétrée dans tous ses secrets”, de façon similaire le corps, vidé de ses forces occultes, pouvait être “pris dans un système d'assujettissement” par lequel son comportement pouvait être “calculé, organisé, techniquement réfléchi” et investi de rapports de pouvoir.»


Page 255

«La conception du corps en tant que réceptacle de pouvoirs magiques qui avait prévalu dans le monde médiéval était morte. En réalité, elle avait été détruite. Derrière cette nouvelle philosophie, nous devinons une vaste initiative de l'État, par laquelle ce que les philosophes qualifièrent l'irrationnel fut déclaré criminel.»


Page 257

«C'est ainsi qu'il faut comprendre l'attaque contre la sorcellerie et contre cette vision magique du monde qui, en dépit des efforts de l'Église, prévalut tout au long du Moyen Âge au sein du peuple.»


Page 260

«Quels qu'étaient les dangers représentés par la magie, la bourgeoisie se devait de combattre sa puissance car elle sapait le principe de la responsabilité individuelle, en situant les déterminations de l'action sociale dans les astres, hors de sa portée et de son contrôle.»


Page 279

«Confronter son corps comme une réalité étrangère à évaluer, développée et tenue à distance afin d'en tirer les résultats escomptés, allait devenir la caractéristique typique de l'individu façonné par la discipline capitaliste du travail.»